Chez les Sato, on aime le thé. Parce que c'est bon, parce que c'est utile et parce que ça se marie avec tout. Alors un jour, Ancêtre Sato s'est dit qu'il pourrait ouvrir un salon de thé et faire profiter le quartier de ses propres mélanges. D'une génération à l'autre on se relaye, on fait toujours mieux. Le salon devient une firme, la firme se fait connaitre et d'autres salons se mettent à pousser un peu partout, comme des champignons.
Et puis un jour, c'est Josuke Sato qui reprend l'affaire. Une chance que dans la famille il y ait toujours eut un fils ou une fille pour partager la passion du thé ! Cette fois, c'est le cadet qui va faire tourner la boutique. Il a des idées plein la tête, parle plusieurs langues et se met à nouer des liens commerciaux. Les salons de thé "Ryuu Fuyugata" s'exportent à l'étranger et c'est un succès. On garde les valeurs traditionnelles et on les mélange au capitalisme pour donner une société qui tourne à plein régime. Pour Josuke, c'est la consécration, son père reconnait sa valeur, se mère se pâme de fierté et il trouve une jolie épouse.

Et comme il n'y a pas que le travail dans la vie, il lui fait quatre beaux enfants : Shiroi, Aoki, Rin et Kaede. La fratrie est joyeuse, la maison est animée et aucun bambin n'est difficile a élever. Ils se hissent tous très vite au niveau d’exigence de leur père et ne ramènent que des bonnes notes et des félicitations. Les deux aînés veillent sur les deux cadettes et la vie s'écoule tranquillement sans soucis particulier.

Pour Rin, son enfance est une mine de souvenirs heureux et insouciants. Jusqu'à ses 10 ans. Mais pour comprendre ce qui s'est passé cette année là, remontons quelques années en arrière. La famille Sato avait de quoi vivre très tranquillement et occupait une belle maison en banlieue, très vaste. Chaque enfant avait sa chambre. Et pour l'anniversaire de leur 7 ans, on leur offrait leur premier hybride. Chacun eut le sien à son tour et devait s'en occuper, le nourrir, le maintenir propre, lui apprendre à se tenir correctement, le sortir, jouer avec lui et le loger dans sa chambre. Shiroi eut un hybride chien de son âge, Aoki un hybride lapin, Kaede une hybride chat et Rin eut une hybride oiseau qu'elle nomma Luka. La petite créature était d'un tempérament très doux, un peu timide mais l'on pouvait compter sur elle. Suivant sa petite maîtresse partout, elle devint très vite sa meilleure amie et sa confidente. Rin adorait Luka et refusait de l'attacher. Ce qu'elle préférait c'était de la voir voler.

« Moi aussi je veux voler ! Apprends moi ! »

Les deux fillettes partageait tout ou presque. Pendant les longues journées d'école, Luka devait rester à la maison et attendre qu'il soit l'heure de la sortie pour pouvoir aller chercher son amie. Et dans la cour de récréation, on avait vite compris que si on se moquait de la petite hybride oiseau, on prenait le risque de se voir sauvagement attaquer par une Rin très énervée. La gamine ne s'expliquait pas cette réaction, les enfants ne cherchent pas à comprendre pourquoi ils éprouvent un sentiment plutôt qu'un autre, mais elle savait que d'entendre des gens dire de mauvaises choses sur Luka lui faisait beaucoup de peine et la mettait en colère. Bien sur, son hybride était à elle, c'était sa propriété et ce n'était pas comme un humain, on le lui avait toujours apprit et elle était d'accord. Après tout les humains n'ont pas d'ailes. Mais Luka c'était différent, elle était presque presque humaine. Alors on avait pas le droit de se moquer ou de la bousculer.

Trois ans, ça semble long quand on est une petite fille. Mais quand elle y repense, Rin se rend compte à quel point elle a manqué de temps avec Luka. L'année de leur dix ans à toute les deux, l'hybride tomba malade. Un petit rhume de rien du tout, le vétérinaire ne s'affola pas et donna des antibiotiques. Mais le rhume ne passait pas et Luka continuait de tousser. Elle avait les yeux rouges et bientôt elle eut de la fièvre. Le matin où elle chancela en se levant du lit sur l'appel de sa maîtresse, Rin lui ordonna de rester au chaud et tira son père par la manche, les larmes aux yeux, pour qu'il vienne guérir son amie. Le vétérinaire revint, réexamina Luka et donna d'autres médicaments. Les semaines passèrent et rien ne semblait fonctionner. La maladie était propre aux oiseaux et la médecine ne se penchait pas sur les maladies des animaux qui ne se transmettaient pas à l'homme. Pas sur celles des oiseaux en tout cas, ça n'en valait pas la peine.
On enterra Luka au début de l'hiver et Rin resta inconsolable. Elle perdait son familier et surtout, sa meilleure amie. C'était comme perdre un petit bout de sa vie. Les souvenirs qu'elles partageaient ensemble n'étaient désormais plus que des demi souvenirs puisque Luka n'était plus là pour les faire revivre. La petite humaine ne garda d'elle que son collier, un petit bandeau de tissu violet avec une petite plaque d'identification qu'elle a aujourd'hui rangé bien soigneusement dans un écrin, comme s'il était neuf.

La petite Rin grandit mais ne se défit jamais de ce souvenir triste et toujours  maintenant, elle ne supporte pas aussi bien la compagnie des hybrides oiseau que celle des autres race. Son réflexe inconscient pour se protéger d'une nouvelle expérience douloureuse avec un hybride est la méfiance. Elle n'est jamais très à l'aise et met toujours une certaine distance entre elle et ces créatures. Elle ne les déteste pas, loin de là, elle est d'ailleurs plutôt de ceux qui les considère comme des êtres méritant les mêmes droits et les mêmes libertés. Mais c'est plus fort qu'elle, se lier avec un hybride lui est plus difficile qu'avec un humain, elle ne les laisse pas facilement entrer dans sa vie. D'ailleurs, depuis Luka, elle a toujours refusé qu'on lui en offre un nouveau ou d'en acheté un elle même. Pour l'instant.
Au moment de choisir ses études, comme Aoki semblait décidé à reprendre l'entreprise familiale, la jeune fille se tourna vers un domaine plus artistique. Elle qui adorait lire et se plaignait souvent de la laideur des couvertures, elle devint iconographe. Désormais, ça serait elle qui chercherait les images des livres et prendrait contact avec les artistes. Une bonne façon d'allier deux plaisirs : la lecture et son goût pour l'illustration. Grâce aux relations de son père, elle décrocha un stage dans une grande maison d'édition et fit si bonne impression qu'elle y resta définitivement à la sortie de ses études.

Depuis quelques mois seulement, elle vit dans un joli loft en partie offert par ses parents dans la ville de Kogame. C'est un peu grand pour elle qui à toujours vécu dans un endroit animé de vie, elle s'y sent parfois un peu seule. Mais la vie commence et il y a beaucoup de choses à faire !