« J'ai pas besoin de vous, de toute façon. »

Je grognais, montrais les crocs. La main qui voulait me caresser se recula, et je détournais mon regard, farouchement. Cela me valu bien des ennuis ensuite. Je faisais partie d'un élevage, et les hommes qui s'occupaient de moi étaient des monstres, comme seuls les hommes peuvent en être. Ma mère avait donné naissance à ma portée, et ils avaient voulu me jeter, avorton que j'étais. Mais ma mère avait supplié, prié, et finalement, on m'avait remis à elle. J'avais survécu, contre toute attente, et j'étais à présent bien vivant, en chair et en os. Et en caractère aussi. L'élevage de mes maîtres était porté sur les races canines, mais je tenais plus du loup que du chien, à leur grand dam. Ils avaient, de toute façon, laissé mourir ma mère. Pourquoi aurais-je dû leur obéir ? Je n'étais pas un esclave. J'étais un être qui méritait d'être libre.

Hélas, j'étais bien le seul à penser cela, à l'élevage. J'étais le seul à se faire battre aussi, et je n'avais du coup aucun ami. J'appris donc à compter sur moi-même, et à ne faire confiance à personne. Pourquoi aurais-je dû m'encombrer des autres ? Ils ne me servaient à rien. Je sabotais chaque visite, à tel point que mes maîtres eurent l'idée de m'envoyer en ville. Ils riaient en songeant que là-bas, j'apprendrais l'obéissance, et qu'une fois revenu, je serais aussi docile qu'un agneau. Ils pouvaient toujours se mettre le doigt dans l'oeil jusqu'au coude. Je n'allais pas me laisser faire. Ainsi, le jour où l'on vint me chercher, je me montrais d'une docilité déconcertante, mais plutôt que de se méfier, ces idiots pensèrent que je souhaitais rester. Et ils ne firent pas attention.

Il me suffit de quelques secondes pour me transformer. Je n'étais plus un adolescent frêle, mais une bête, un loup noir, aux yeux fous. Je les mordis, un voile rouge devant mes yeux. Je me fichais de les blesser, de les achever. Ils le méritaient. Mais je ne crois pas les avoir tués. Je me suis enfui avant que l'on me mette la main dessus. Je me fiche de mes frères, de mes soeurs. Personne ne m'a jamais aimé, mis à part ma mère, à qui je dois ma vie - plusieurs fois plutôt qu'une même.

J'appris à me faire un abri. A chasser. Un loup solitaire avait forcément plus de mal qu'une meute, mais j'allais devoir faire avec ce que j'avais. Un jour, une hybride traversa mon territoire, posé dans une forêt. Une hybride biche. Jolie, mais mes instincts de loup s'affolèrent. Néanmoins, je l'hébergeais quelques jours, et elle m'apprit beaucoup de choses : à faire une cabane, à cultiver des légumes, à trouver des pistes. Elle était très intelligente, et elle me rappelait ma mère. Elle avait disparu quand je me réveillais un matin, et son absence me creva le coeur, que je décidais de barricader encore plus. Je n'avais pas le droit d'être faible.

A force de vivre dans la nature, je développais une musculature digne des bêtes sauvages, couplée à une finesse que seule la faim peut donner. J'étais devenu agile, presque félin dans mes gestes, mais je gardais cette haine viscérale des hommes. Mon ambition avait grandi avec moi, et je ne désirais plus qu'une chose : renverser les hommes, les mettre aux pieds des hybrides pour tout le mal qu'ils avaient fait.

« Ce que vous avez fait, vous le payerez un jour. »

Que les hommes profitent encore un peu de leur divinité supposée. J'étais sûr et certain que bientôt, je trouverais d'autres hybrides, et que nous pourrions enfin mettre en plan mon objectif. Donner le monde à notre race hybride !