Baby, Baby, petite Baby Doll. C'est un sacré phénomène que ce petit bout de femme, petite minette avec des étoiles plein les yeux et des sourires à offrir par milliers. Etsi, au fond, la désillusion, elle a compris ce que c'était il y a bien longtemps. Elle n'est pas bête la minette, elle sait bien qu'elle n'est rien d'autre jolie poupée que l'on regarde toujours un peu trop ou pas assez, rien de plus qu'une fille-objet, probablement destinée à passer de mains en mains sans avoir son mot à dire. Quand elle était petite, Etsi, elle pleurnichait souvent au centre de dressage. Elle pleurait de grosses larmes d'enfant, des morceaux de rêves qui coulaient sur ses joues roses avant de s'écraser par-terre. Elle pleurait son père, cet inconnu qu'elle n'avait jamais rencontré et dont sa mère refusait de lui parler. Une rencontre un peu hasardeuse, un neko parmi tant d'autres que l'on avait vendu peu avant la naissance de Etsi. Elle n'a jamais su dire si sa mère l'avait aimé ou non. Et puis on lui avait enlevé sa mère. Etsi n'avait rien dit, elle les avait regardés l'emmener sans rien dire, sans cris, sans pleurs, de glace face au spectacle de sa mère qui se débattait, qui lançait des « Tout ira bien, ma puce, ne t'en fais pas » sans y croire. Ça faisait mal au cœur de voir cette mère déchirée, sa queue battant furieusement l'air, et cette fille qui restait figée comme la pierre. Des deux, c'était sa mère qu'il aurait fallu consoler, rassurer. Mais Etsi n'avait rien trouvé à dire. Elle a toujours regretté de ne pas avoir répondu, avec un sourire : « Oui, maman, tout ira bien. »

Alors, quand la petite Etsi de huit ans s'est retrouvée seule dans le grand centre de dressage, avec ces humains qui la maltraitaient, elle a décidé de ne plus jamais rester sans sourire. Elle a lâché prise, elle a rendu les armes. Elle a fait comme les fous, qui rient de tout et qui s'en foutent. Elle a laissé la vie la briser, comme ça, parce qu'elle l'avait décidé, parce que ça faisait moins mal de l'accepter et que de se battre encore et toujours. Les coups durs et les blessures, celles du corps et celles du cœur, elle ne refuse plus rien. Quand on la voit, on la croit juste un peu naïve, optimiste, presque idéaliste. C'est tout le contraire. Elle ne veut plus rien attendre de rien, ne veut plus s'engager. Elle met de la distance entre elle et la réalité, car elle s'est drapée d'ironie. Elle a eu un maître, à quinze ans. Elle n'est plus tout à fait innocente, on peut dire qu'elle a un minimum d'expérience professionnelle. Mais il était attentionné. Il était même plutôt gentil, ils s'entendaient bien. Elle est restée deux ans avec lui, à le servir docilement, à faire pirouettes et plaisanteries. Il a fini par s'attacher à elle, très sincèrement. Mais elle, elle riait toujours, elle n'était jamais sérieuse. C'est pas une fille sérieuse, Etsi, elle sait juste s'amuser. Elle a fini par revenir à l'animalerie, la joue encore douloureuse, portant la marque rougie de la claque, et un peu plus d'amertume au fond du cœur. Elle était allée trop loin, la petite Baby Doll, à se moquer de tout, à se moquer de l'amour. C'était la deuxième fois qu'elle blessait un être qui l'aimait et qu'elle voyait des larmes couler sur d'autres joues que les siennes. La première fois, c'était sa mère, parce qu'elle n'avait pas souri. La deuxième fois, c'était lui, parce qu'elle avait trop souri. C'était toujours ce fichu sourire. Elle le détestait. Mais elle ne pouvait plus s'en défaire.

Alors elle était rentrée à l'animalerie, reniée, abandonnée, comme si il n'avait jamais existé, et elle était revenue comme si de rien n'était, sourire aux lèvres, comme si elle n'avait jamais existé non plus. Elle y a repris sa petite vie d'avant, à passer le temps, en attendant que quelqu'un d'autre ne vienne la prendre. On lui a fait maints reproches, on l'a enviée autant qu'on lui en a voulu. Elle ne savait pas la chance qu'elle avait, de trouver un maître pareil, c'était du gâchis. Ce à quoi elle répondait, avec un sourire, qu'elle préférait encore un maître cruel qu'un maître qui l'aimait : ça faisait moins mal au moment de se faire abandonner.