-« Maman regarde ! Je marche sur les mains ! »

Un sourire tendre se dessine sur le visage de la femme alors qu'elle regarde son garçon de tout juste 5 ans faire le mariolle. Elle ne peut s'empêcher de penser, en l'observant, qu'il ressemble à son père avec ses cheveux blonds en bataille, ses grands yeux verts et son air polisson. Pourtant, il tient aussi d'elle, après tout il présente une longue queue d'écureuil, des incisives étonnamment puissantes et une souplesse ainsi qu'une agilité très développée pour son âge et ça ce n'est pas des dons qu'un humain aurait pu lui faire. Pas de doute, son fils est un hybride. À cette simple pensée le sourire de la femme s'estompe pour laisser place à une expression attristée, quel sera l'avenir de son fils dans un tel monde ... Le gamin ne manque pas remarquer le changement d'attitude de sa mère et se remet de suite sur ses pieds pour courir à sa rencontre.

-« Ça va pas maman . Tu penses à papa . Tu sais faut pas être triste il va revenir. »

Un semblant de sourire revient sur le visage de la femme avant qu'elle n'ébouriffe tendrement la chevelure, déjà en bataille, de son garnement.

-« Tu as raison mon ange. Allez, rentrons, il se fait tard. »

Prenant la main de son fils elle l’entraine vers une petite chaumière ensevelie sous la végétation. C’est ici, au plus profond de cette forêt, que Judicaël est sa mère vive depuis bientôt 3 ans. L’époque à laquelle le père de l’enfant les a caché en ses lieux en leur promettant de revenir les chercher lorsque les Hommes auraient retrouvé la raison et cesseraient de mettre en esclavage les hybrides. Il n’est jamais revenus et chaque jour qui passe son femme se demande si c’est parce que la folie des Hommes ne prendra jamais fin ou parce qu’il n’avait jamais eu l’intention de revenir, mais cela elle le cache à son fils. Elle a créé pour lui un monde idyllique ou la peur n’existe pas et où seule la joie et les rêves ont leurs places, c’est pourquoi l’enfant croit toujours au retour de son père. Elle ne peut se résoudre à lui dire que les humains n’ont pas tous de bonnes intentions à l’encontre des hybrides alors elle lui ment pour lui masquer la cruauté du monde où il grandit et préserver sa bonne humeur.


-« J’en ai assez d’être toujours seul, je veux des amis. »

Là mine renfrognée, les cheveux lui tombant à demi devant les yeux et l’air déterminé Judicaël toisent sa mère. Il a 10 ans et rêve d’aventure, de découverte et surtout de nouvelle rencontre. Il aime sa mère plus que tout au monde, mais elle ne lui suffit plus, il aimerait connaitre d’autres enfants de son âge.

-« Je sais mon ange, mais on doit attendre papa. Quand il sera revenu on ira en ville d’accord ? »

Le garçon hésite. Voilà 8 ans que sa mère et lui n’ont plus de nouvelle de son père. Longtemps il a cru à son retour, mais à présent il doute sérieusement de le revoir un jour. Avec les années sont images s’est estompé et il ne sait plus à quoi il ressemblait, mais sa mère continue de lui dire qu’il reviendra … Y croit-elle seulement ? Non. Judicaël est peut-être naïve, mais il est loin d’être bête et il sait que son père les a abandonnés, mais sa mère ne veut pas lui dire et semble persuadée qu’il ne l'a pas compris alors, il fait comme s’il la croyait toujours pour ne pas lui faire de peine.

-« D’accord … On attend papa. »

Glissant sa main dans celle de sa mère le garçon se force à sourire pour rassurer celle qui donnerait corps et âme pour lui et la suit docilement dans la petite chaumière qu’ils habitent.


-« Cour Judi ! Ne te retourne pas cour ! »

Le regard noyé de larmes l’adolescent s’élance à toutes jambes, plusieurs fois il trébuche et manque tomber, mais il se reprend et continue sa course folle à travers les bois. Pourquoi il leur a fait ça ? Elle avait confiance en lui, ils avaient confiance en lui et il les a trahis !

Voilà quelque jour, à la grande surprise de Judicaël et sa mère, son père est revenu. Ça faisait maintenant 13 ans qu’ils n’avaient pas eu de nouvelles de lui et au matin il était là, debout dans la clairière bordant leur maison. Le garçon a cru à un rêve, à 15 il ne gardait plus aucun espoir de revoir son géniteur et voilà qu’un beau matin ce dernier leur faisait face. Submergée par le bonheur la petite famille s'est étreinte, tous trois ont pleuré de joie d’être réunis. Les jours qui ont suivi ont été les plus merveilleux qui soient pour Judicaël et sa mère … Jusqu'à ce soir.

Accoudé à la fenêtre le garçon a vu d’étrange lueur se déplacer entre les arbres, il n’a pas compris de quoi il s’agissait, mais sa mère si. Elle a tout de suite rassemblé ses maigres possessions et pris la décision de fuir. C’était sans compter sur son époux, ce dernier la fermement attrapait par le poignet.

-« Tu n’iras nulle part. Tu n’as pas crue sérieusement que je revenais vivre avec vous . J’ai une femme et des enfants, des humains, mais toi et ton bâtard avaient hanté chaque jour de ma vie depuis que je vous ai quitté. Il était temps que je tire un trait sur mes erreurs de jeunesse et c’est ce que je fais. »

Judicaël n’a pas compris, il a vu le chagrin et la peur obscurcir le regard de sa mère, mais avant qu’il ne puisse dire un mot ou faire un geste elle lui a crié de fuir. Il a obéi.

À présent le garçon est à bout de souffle, ses poumons le brûlent, sa gorge et sèchent, mais il ne peut s’arrêter de courir. Autour de lui la nuit à tout englouti et la peur le tenaille. Il ne sait pas si on le suit et ne veut pas se stopper pour essayer de le savoir, son esprit est en ébullition. D’ailleurs, il est si perturbé qu’il ne voit pas la branche devant lui et se cogne violemment dedans. La nuit se fait plus profonde, alors que son corps s’écroule, inconscient, sur le sol.


Doucement le garçon soulève ses paupières. La lumière blafarde des néons agresse ses rétines et il referme précipitamment les yeux en gémissant. Il a mal au crâne, faim et soif. Pendant un moment il papillonne des yeux pour acclimater son regard à la lumière crue des lieux, cela fait il découvre avec surprise un mur gris et froid qui lui fait face. Le sol est aussi gris et froid que le mur et il en va de même du plafond. Ce dernier est d’ailleurs drôlement bas, si bas que Judicaël n’a pas à tendre le bras pour le toucher. Apeuré l’adolescent roule sur le côté dans l’espoir de découvrir autre chose. Il voit alors une gamelle d’eau, une autre remplie d’une substance brunasse peu ragoutante et … Des barreaux. Son estomac se contracte douloureusement alors qu’il prend conscience du lieu où il se trouve. L’animalerie.

Sa mère lui en a déjà parlé, mais il ne l’a jamais crue. Pour lui elle avait inventé cet endroit pour l’intimider lorsqu’il avait le malheur de faire une bêtise. À présent il réalise qu’elle lui a toujours dit la vérité et il a peur. Elle n’est plus là pour le rassurer et il n’a aucune idée de l’avenir qui l’attend. Quoi de plus effrayant.