Sinéid ne sait pas grand chose de sa terre mère irlandaise, et elle en sait encore moins sur sa véritable mère, la génitale, celle qui est partie vers ses trois ans. Et pourtant sa mère et l'Irlande furent essentielles dans la construction de la Sinéid enfant.
Son père est le digne père de sa fille : affreusement imprévisible. Ni sa famille ni ses amis n'ont été vraiment surpris lorsqu'il leur a annoncé qu'il était fou amoureux d'une Japonaise durant ses premières vacances à l'étranger avec sa fille de cinq ans (il aime à voir les choses en grand, dieu merci il en a les moyens). A cinq ans donc, la petite Sinéid quitte son pays natal pour le Japon qu'elle prendra autant en grippe que sa nouvelle belle-mère sans raison apparente. A sa manière, elle boudait la décision égoïste de son père.
Dix ans après son arrivée, Sinéid boudait toujours. Elle arborait son héritage irlandais avec la fierté d'une nationaliste engagée durant la première guerre mondiale. Sa chambre était bariolée de drapeaux et de photos de sa mère. Elle cultivait sa différence, son accent et les mauvaises notes. Teigneuse, provocatrice, profondément anti-tout, elle était la crise d'adolescence ré-incarnée, depuis dix ans.

La seule chose que Sinéid avait c'était la boxe. Depuis toute petite elle était violente, on ne comptait plus le nombre de bagarre que le père avait du arrêter pour protéger les gamins du quartier. Elle était plus grande que les autres japonaises, mieux charpentée, plus agressive. Alors on l'envoya en boxe, à moitié pour son bien, à moitié pour avoir la paix. On eu raison, un peu.
Que serait devenue Sinéid sans la boxe ? Pas grand chose, une caissière mal-baisée, une prostituée déprimée, quelque chose de ce style. C'est la boxe qui l'a fait naître, qui l'a fait comprendre ce qui se passait à l'intérieur d'elle-même. Elle a appris à utiliser cette énergie enfermée en elle, à contrôler cette impulsivité, voire à réguler ses éclats de rage. Elle n'en devint malheureusement que plus insupportable pour son entourage, mais au moins plus épanouie.

A dix-huit ans, après avoir raté son diplôme, Sinéid quitta la maison. Elle était déjà professionnelle depuis quelques mois et choisit de vivre au plus vite de façon « autonome ». Depuis quatre ans, Sinéid vit dans un appartement miteux et bordélique, entre entrainements, compèt' et soirées endiablées où elle essaye encore désespérément de taire cet étrange besoin de bizarrerie, de sale, de choc, de rage. Elle oscille entre jogging et mini-short, sur-vêtements et décolletés plongeants, sueur et sueur.
Quant aux hybrides, ils ont toujours fait partie du paysage de Sinéid, une sorte de forme abstraite toujours présente, jamais incarnée. Elle n'a jamais réfléchi vraiment à ce qu'était les hybrides, s'ils avaient une âme ou même un cerveau, ils font juste partie de son champ de vision et elle n'est même pas sûre d'avoir jamais adressé véritablement la parole à l'un d'eux.
Alors quand la belle-mère est arrivée un jour avec une hybride en cadeau, Sinéid n'a pas vraiment sourcillé. Elle a à peine jeté un regard à ce petit être frêle qui était censé venir « mettre un peu d'ordre dans cette porcherie », nota son nom dans un coin de son cerveau (un truc absurde), et l'oublia tout simplement.
Cela fait deux semaines à présent que Sinéid a oublié qu'elle vit avec une hybride. Elle s'en souvient juste pour crier sur l'imbécile qui a osé ranger le bureau, ou quand la malheureuse a fait l'erreur de finir le fromage. Peu à peu la boxeuse a réprimé toute possibilité pour la jeune chatte d'être une quelconque utilité dans l'appartement : son bordel il lui plait. Quant à faire les repas, le régime d'une sportive de haut niveau est bien trop élaboré pour un animal.

Ainsi passe les jours, jusqu'à ce que peut-être, prochainement, l'intruse commence à pointer le bout de son égo.

LAIN